Il
y a dans tout changement quelque chose d'infâme et d'agréable
à la fois, quelque chose qui tient de l'infidélité
et du déménagement. Cela suffit à expliquer
la révolution française.
in
Mon cur mis à nu (journal intime)
Charles Baudelaire
***
Révolution
Dans
ma chambre le lit se trouvait là, larmoire ici,
entre les deux il y avait la table. Jusquau jour où
jen ai eu assez. Je déplaçai le lit ici,
et larmoire là.
Durant
un certain temps je sentis que coulait en moi un courant novateur
vivifiant. Mais passé quelques jours
lennui
revint. Jen tirai la conclusion que la source de mon
ennui était la table, ou plutôt le fait quelle
demeurait au centre, immuablement. Je poussai donc la table
là, et le lit au milieu. De façon anticonformiste.
Cette
seconde nouveauté me redonna de la vitalité,
et tant que celle-ci dura, jai accepté la gêne
anticonformiste dont elle était la cause. En effet,
je ne pouvais plus maintenant dormir le visage tourné
vers le mur, ce qui avait toujours été ma position
préférée.
Au
bout dun certain temps, néanmoins, la nouveauté
cessa dêtre nouvelle, et seule subsista la gêne.
Dans ces conditions, je poussai donc le lit ici, et larmoire
au milieu. Cette fois, le changement fut radical. En effet,
larmoire au milieu de la chambre, cétait
plus que de lanticonformisme. Cétait de
lavant-garde.
Au
bout dun certain temps, néanmoins
Ah, ce
maudit «certain temps»! Bref, même larmoire
au milieu de la chambre cessa de mapparaître comme
quelque chose de nouveau et dinhabituel.
Il
convenait dopérer une cassure, de prendre une
décision fondamentale. Si, dans le cadre ci-dessus
défini, aucun véritable changement nétait
possible, il importait de sortir complètement de ce
cadre. Dès lors que lanticonformisme se révélait
insuffisant, dès lors que lavant-garde ne donnait
aucun résultat, il fallait accomplir une révolution.
Je pris la décision de dormir dans larmoire.
Tous ceux qui ont essayé de dormir debout dans une
armoire savent quavec une pareille absence de confort
on est absolument assuré de ne pas trouver le sommeil,
sans parler de la fatigue totale qui envahit les jambes, et
des douleurs dans la colonne vertébrale.
Oui,
ce fut la bonne décision. Succès, victoire complète.
Car, cette fois-ci, même le «certain temps»
neut aucune prise. Au bout dun certain temps,
non seulement je ne mhabituai pas à mon changement,
cest-à-dire que le changement demeura changement,
mais au contraire, je ressentis ce changement avec de plus
en plus dacuité, car la douleur allait croissant
à mesure que le temps passait.
Tout
aurait donc été pour le mieux, neût
été ma résistance physique, qui savéra
limitée. Une certaine nuit, je ny tins plus.
Je sortis de larmoire et mallongeai sur le lit.
Je dormis trois jours et trois nuits. Après quoi je
poussai larmoire contre le mur, et la table au milieu,
car larmoire au milieu me gênait.
Maintenant
le lit se trouve là, comme avant, larmoire ici,
et entre les deux il y a la table.
Quand
lennui me guette, je me remémore lépoque
où jétais révolutionnaire.
in La vie est difficile, Slawomir Mrozekn
nouvelles
traduites du polonais par André KOZIMOR