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Je ne sais pas situer un début. L'instant invisible où ça se noue. Où ça s'empare de toi. La flèche que décoche le Cupidon de service, le préposé à l'addiction, le sniper ailé. Curieuse, quand même, cette idée de flèche. Déjà un perce-cœur, une hémorragie. Déjà un goût de meurtre. Dans le silence d'un passage, d'un parfum, d'une ombre.

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Je ne sais pas situer un début dans le début. La part du mensonge dans le souvenir, la part de rêve qui corrige l'instantané, qui rehausse ses couleurs, qui fige l'instant premier d'une rencontre,
qui érige sa banalité en naissance. Ce n'était donc que ça, le début, le passage d'une ombre dans un couloir. Pourtant, rien ne commence là, rien ne se passe, rien n'y succède, des mois durant. Rien que l'instantané gravé sur les rétines, qui se grime en mystère au fil des jours, qui tatoue la mémoire émotionnelle et laisse la peau à vif. Si l'image s'était dissoute, ou voilée d'une autre, plus prégnante, plus urgente, plus lumineuse, il n'y aurait pas lieu d'écrire cette histoire. De toute façon, il n'y a pas lieu de l'écrire, ce n'est pas une histoire. À peine des fragments dispersés dans le temps, un puzzle d'illusions et de terreurs, un grimoire.

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L'adoration est un carnage. Sa chair est inénarrable, sauf à la mentir d'une parure de légende, de l'armure étincelante d'un Lancelot, de l'extase d'une Thérèse, des ruines embaumées d'un Botticelli. L'adoration ne s'écrit pas, elle se contourne. Son écriture est d'évitement. Elle est imprésentable, telle une ultime obscénité. Tout ce qui s'écrit de la passion est un faux en écriture, un plagiat édulcoré, un arrangement, l'enluminure épique d'un texte hermétique qui ne se donne pas à lire, dont çà et là affleurent seulement des aspérités et des leurres. La passion est imprenable, c'est elle qui prend. Toute tentative de roman est une passion. Cendres en pages. Pages en suaires.

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J’ai fomenté des stratagèmes de bonheur, des pièges à jubilations, des embuscades de caresses, des traquenards à délices. J’ai inventé des odyssées cathartiques, des périples exotiques, des paysages inexplorés. J’ai dressé des épouvantails à souvenirs, des barrages aux mélancolies, des murailles de bienveillance, des forteresses de fleurs. J’ai creusé des tranchées, des fossés, des douves, pour qu’elle soit invulnérable, intacte, perchée sur ma plus haute tour. J’ai voulu la distraire d’elle-même, l’exfiltrer de son ectoplasme, l’extirper de sa folie. Le mot amour me parut faible, désuet.

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in Adoration, Jimmy Lévy
2018 - Edt. Le Cherche midi